Une semaine dans une finca proche de la capitale du département : Pereira, à 212 km au sud de Medellin et 325 km à l’ouest de Bogota, en plein dans la région du café et du chocolat.
Et de chocolat, la Finca El Turpila Feliz en est un cœur écologique. Maria Alejandra nous avait dit, « c’est là qu’il faut aller si vous voulez connaître la vie d’une finca du Risaralda », elle n’en avait pas précisé le bonheur odorant et gustatif.
Anita nous accueille le mardi 30 janvier au matin avec un onctueux chocolat chaud. Il n’a fallu que huit heures de nuit en bus pour parcourir les 325 kilomètres de montagne qui séparent Bogota de Pereira. Si, si, soyez-en assurés, la nuit fut plutôt bonne, les bus au long court sont confortables, on y dort plutôt bien et quand survient la destination du voyage il est six heures du matin et on s’éveille tout surpris d’être si tôt arrivé. Un dernier parcours de quarante minutes en taxi (22 000 pesos, soit 5€) et voici le portail qui ouvre sur une grande maison de briques et de bois entourée d’une superbe végétation.
Le Risaralda est composé de milliers de grandes bosses et creux profonds, collines et vallons verdoyants, couverts de plantations de café et de bambous géants. Les fincas s’y plaisent, elles y trouvent le soleil et l’eau. Il pleut assez régulièrement en soirées et parfois éclatent de violents orages venus des montagnes toute proches, comme celui qui frappa le jeudi soir pendant plusieurs heures.
Anita, une femme proche des soixante-dix ans et dont la vitalité et l’énergie ne cesseront de nous étonner, du vif-argent. Elle tient la finca qui porte son nom depuis onze ans avec son mari Pierre. Il est absent pour la semaine, parti rendre visite à leurs enfants. Simon vit en France, il est co-pilote à Air France ; Violetta vit en Pologne, elle est artiste peintre. Pierre était prof de français dans les Alliances françaises puis au lycée français de Pereira, ils ont beaucoup voyagé de par le monde avant de faire le choix de devenir paysans écolos ici, en terre natale d’Anita.
La finca est de taille modeste, 2,5 hectares sont suffisants, à taille humaine pour une production qui se veut de grande qualité.
De la fleur au fruit devenu mûr, il faut cinq mois. Vient alors la fabrication : tablettes de chocolat noir 70% et 90%, sucré à la cannelle et sans ajout de graisse ; chocolat pour boire à l’eau, surtout pas au lait ! il détruit les propriétés nutritives ; de graines pures à grignoter, délicieuses bombes d’énergie. Tout un processus de fabrications à l’aide de petites machines fabriquées en Inde pour le riz.
Les différents produits sont vendus à des particuliers, à des organisations et entreprises locales ainsi que sur un marché chaque premiers mercredi de chaque mois. Les producteurs bio de légumes, chocolat ou café, tous voisins autour de Pereira, se sont organisé en un collectif d’une cinquantaine de fincas. Pour Anita et Pierre produire du chocolat pure est une passion, un choix écologique et économiquement viable, un mode de vie qu’Anita qualifie comme étant « un engagement politique dans le local ».
Très régulièrement des petits groupes viennent visiter la finca. La visite dure deux bonnes heures, elle est ponctuée d’agua-panella et de chocolat chaud. On peut aussi y séjourner deux ou plusieurs jours, comme ce le fut pour nous. Cinq jours de plénitude mais aussi, et peu à peu, de naissance d’une amitié avec Anita. Une belle chambre avec terrasse était à notre disposition, de même la pièce cuisine, le grand salon, les terrasses, la piscine et l’ensemble de la propriété. En 2024, il faut compter sur une participation de 80 000 pesos/jour, soit… 20€ !
Au fil des jours, les conversations sont devenues plus riches, Anita les aime, surtout celles du soir alors que la nuit est descendue, souvent accompagnée de pluies et de fraicheur. Elle est attentive et curieuse d’art, de théâtre qu’elle a pratiqué en collectif amateur entouré de professionnels. Elle a activement participé à la création et à la vie d’un collectif culturel à Pereira, des groupes de musique de la région et de plus loin, des écrivains, des peintres étaient invités.
Le dernier matin, elle nous raconte à sa façon l’histoire de Pereira, sa ville.
Jusqu’aux années 1880 ce n’était qu’un tout petit village entouré par deux rivières, la Cauca et l’Otùn. Les guerres civiles entre libéraux et conservateurs 1876 et 1885 entrainent des déplacements forcés de paysans qui défrichent des parcelles et s’installent, bientôt suivis de commerçants. La ville et ses environs vont alors connaître au cours des décennies suivantes un développement tout à la fois anarchique, aucun plan d’habitat, et en pleine vitalité. Culture du café, implantation de commerces, usines de métallurgie, de fabrication de vêtements, connaissent un formidable essor par des sociétés anglaises et françaises. Dès le début du siècle, la main d’œuvre féminine est la plus importante, beaucoup de femmes veuves, célibataires avec enfants. Les hommes sont souvent restés à cultiver leurs lopins de terre. Les femmes conquièrent par leur travail une indépendance.
Dans les années trente à quarante, face à ce développement d’une population ouvrière en grande partie féminine, un prêtre dynamise les activités de collaboration : aménagements de pistes et de terrains de sport, construction d’une piste pour avions par les habitants eux-mêmes, fêtes. Ceci tisse un esprit de collaborations de solidarité et d’appartenance au territoire.
Dans les années cinquante-soixante des grèves éclatent dans toute la Colombie, les inégalités sociales sont par trop insupportables. La grève engagée à Pereira sera la plus longue. Encore une fois, les femmes y tiennent une place importante. La bourgeoisie s’inquiète, un autre prêtre tente de calmer les femmes grévistes, il leur dit qu’elles risquent d’être considérées ‘’putains’’. Cette fausse accusation va marquer les femmes de Pereira qui, jusqu’aux années 70-80, seront considérées comme telles jusqu’au Panama.
Mais Pereira continue d’être « la ville sans portes », celle où se vit une dynamique populaire forte. Malheureusement totalement anarchique dans son développement, la ville est sous l’emprise de maires, politiques et notables corrompus, l’argent public disparaît dans des trous sans fond.
En nous promenant, nous circulons au travers d’une multitude de marchand.e.s ambulants, leurs petites échoppes protégées par un parasol-parapluie. Pas de harcèlement, comme trop souvent à Bogota, mais une ambiance toute à la fois laborieuse, patiente, détendue.
Nous avons voulu visiter le très grand centre culturel, celui qui fut autrefois si animé, il est fermé le samedi et le dimanche ; le théâtre est clos semble-t-il définitivement ; la grande bibliothèque ferme elle aussi les week-ends ; quand au musée d’art contemporain son état de décrépitude et la grande pauvreté des quelques œuvres exposées donnent une image accablante du souci de la municipalité pour ses lieux culturels..