Et donc, en fin juillet 2024 nous revenons à Faux la montagne, à une bonne vingtaine de kilomètres d’Eymoutiers, sur la départementale 992 qui mène à Nedde et plus loin à Aubusson, dans la montagne limousine. Nous y plantons notre tente dans camping municipal, il offre de vastes espaces boisés pour y planter notre tente. Nous y resterons une vingtaine de jours, alors que nous n’en n’avions prévus qu’une petite dizaine.
Nous renouons avec le Festival Folie ! Les Mots, 19e édition, les dimanche 28, lundi 29 et mardi 30 juillet 2024 ; avec le discours d’inauguration prononcé par la maire du village Catherine Moulin ; des paroles d’une grande dignité et lucidité sur les errances du pouvoir politique et de ses conséquences sur les populations rurales, sur les valeurs de coopération, d’imagination politique et de liberté. Nous décidons alors de mieux connaître le village, de faire des entretiens pour tenter de rendre compte des réalités et rêves qui ici se réalisent et se projettent. Des paroles récoltées que nous destinons à la table ronde en septembre prochain : « L’attachement au territoire, une utopie pour le vivre ensemble ? » (1)
Ce sont prêtées à cette récolte de paroles Catherine Moulin, maire de la commune ; Gilles, prêtre ouvrier à la retraite ; un autre Gilles, élu municipal et trésorier ; Patrick, paysan éleveur. Nous avons aussi pris des photos, elles accompagnent cet article.
La Montagne limousine, un territoire et une histoire riches en coopérations et solidarités
Faux n’est pas un exemple isolé, bien au contraire ! La Montagne limousine se distingue, comme d’autres territoires périphériques aux villes et en résistance leurs dominations administratives, une forme de colonisation par l’urbain et la centralisation. Ici, les populations, disséminées en villages et hameaux sur le vaste plateau vivaient tout à la fois de l’élevage et d’une agriculture sur un sol granitique et pauvre, mais aussi, et en alternance, du travail ouvrier en villes proches, telles Limoges ou Aubusson.
Ce travail paysan-ouvrier favorisait la conscience d’appartenir à des collectifs et aux solidarités. Les travaux en villes, les fêtes en villages rythmaient la vie, obligeaient à la mobilité, au sein de petits villages à l’abri des forêts et des monts, tels Saint Léonard de Noblat, Vassivière et son lac, Peyrat la château au nord du plateau, Eymoutiers à l’ouest, Nedde, Gentiou, Peyrelade, mais aussi plus au sud Magnac, Bugeat ou encore Tarnac. Tiens, Tarnac ! ça ne vous rappelle rien ? (2)
Faux depuis les années 1970, l’histoire d’un pays qui se revitalise
Jusqu’aux années soixante-dix le plateau se mourrait peu à peu, la désertification des villages menaçait.
Gilles, « un vieux curé et prêtre ouvrier » comme il se présente lui-même, nous raconte qu’avant 1970, une petite communauté de prêtres, installés à Saint Léonard de Noblat, parcouraient les villages alors en manquent d’eau et de matériels agricoles. Ils interrogeaient les habitants sur ces manques et rêves de « l’eau sur l’évier » et de moyens pour cultiver la terre ; ils réalisaient de courts films de cinq minutes. Dans les bistrots, ils organisaient des projections qui ouvraient à des prises de parole.
Un autre Gilles, conseiller municipal, raconte : « Nous étions un petit groupe d’étudiants d’Angers, nous voulions faire un retour à la terre. Nous sommes venus à Faux en 74. L’un de nous était originaire du pays, il a repris la ferme de ses parents, nous l’avons suivi. Très vite il y a eu une volonté d’accueil affirmée par trois jeunes maires d’alors : François Chatoux à faux, Pierre Derosier à Gentiou et Bernard Coutaud à Peyrelade. Une mixité sociale s’est peu à peu créée entre les natifs et les nouveaux venus. Quand un pays meurt, et c’était le cas, il faut se donner les moyens de vivre ensemble, c’est une nécessité. C’est ça le fil rouge de Faux, de sa vie économique, sociale, associative. »
Gilles le prêtre : « C’est tout l’engagement politique qui s’est développé : quel art de vivre à inventer ? Comment vivre debout sur la terre ? »
Catherine Moulin : « C’est l’histoire d’une installation sur un territoire par un groupe d’ami-es étudiants à la Sorbonne et se connaissant aussi par le scoutisme protestant dans les années 80 à Paris. Nous étions six, nous avions envie de vivre et travailler ensemble.
Notre questionnement d’alors : le monde ouvrier est invisible, comment travailler et produire autrement ?
Une amie nous a fait connaître le Plateau, nous avons rencontré les trois jeunes maires ainsi que des prêtres de la Mission de France qui y travaillaient. En 84 nous sommes arrivés à Faux et nous avons fait le choix d’habiter ensemble dans ce qui s’appelle maintenant la Maison commune.
Nous nous sommes dits que nous pourrions créer une scierie, les forêts du Plateau sont vastes. Alors, nous avons commencé par nous former aux différents métiers du bois, des métiers que nous ne connaissions pas ! Choisir les arbres, scier et planter, transporter, gérer, faire de la menuiserie, des charpentes, des toits en bois dits bardeaux, tout ça et plus encore ! De 84 à 88 on a fait nos formations et les premières installations. »
Depuis cette renaissance, des réalisations qui l’ont permis et qui ne cessent de se développer.
Aujourd’hui, la commune compte 460 habitants, avec une augmentation de 25% dans les 15 dernières années. En 2000 a été créé le parc naturel du Plateau limousin.
Il est d’abord à noter que les villages, dont Eymoutiers, ont refusé de s’organiser en communauté de communes, une structure trop verticale et de domination par l’urbain. Ce refus est une résistance aux processus imposés de gouvernance « par le haut ». Ce refus ne les empêche en aucune façon de s’organiser collectivement par le biais d’associations au service de coopérations transversales.
– La scierie Ambiance Bois en Limousin, https://www.ambiance-bois.com/
Sous statut SAPO (Société anonyme à participation ouvrière). Elle est née en 1988, elle poursuit ce que visaient ses fondateurs : expérimenter d’autres manières de travailler qui puissent répondre à leur volonté de vivre le travail sous des modalités différentes de celles qui régissent habituellement le monde de l’entreprise : hiérarchie, sectorisation des rôles, inégalités des salaires et des responsabilités, pouvoir de décision réservé aux détenteurs de capitaux, etc...
Ils sont aujourd’hui une vingtaine à y travailler. Ils réalisent des maisons à tendance bioclimatique et passive et autres bâtiments (hangar de stockage). Ils interviennent également sur de l’extension, de la rénovation ainsi que la réfection de toiture (bardeaux, ardoises, tuiles). Ils répondent aux demandes d’Isolation Thermique par l’Extérieur (ITE), ainsi qu’à l’aménagement paysager (par exemple : platelage sur tourbière).
-L’école : en 70 une dizaine d’enfants en classe élémentaire unique. En 84, création d’une classe maternelle. En 95, deux classes élémentaires. En 2024, trois classes plus une classe supplémentaire à l’ouverture septembre 202
-La crèche Tom Pousse, www.tompousse.org
créée en 2000. Association multi accueil pour la petite enfance, actuellement 12 enfants. Son fonctionnement horizontal (pas de direction, égalité de salaires) en fait une expérience unique.
-Faux Solidaire association, https://fauxlamontagne.fr/solidarites-a-faux/
120 personnes du village on dit « on participe à son financement en donnant des cours, en accueillant chez nous des migrants ».
« Ils viennent du Darfour, à l’ouest du Soudan, région en proie depuis 2003 à des actes de génocide commis par les forces armées gouvernementales et les milices avec lesquelles elles collaborent. Le Président du Soudan fait l’objet pour ces actes d’un mandat d’arrêt international pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide. Arrivés jusqu’en France après avoir traversé l’Italie, ils ont demandé la protection de la France et attendent que celle-ci veuille bien examiner leur situation. Plusieurs habitants de Faux-la-Montagne ont décidé de les accueillir et de faire en sorte qu’ils puissent avoir un toit.
Depuis leur arrivée, ils sont heureux d’être à Faux-la-Montagne et du bon accueil qu’ils y reçoivent. »
Un appartement a été réhabilité dans le village pour les accueillir.
Deux CADA (Commission d’accès aux documents administratifs) se sont créées à Peyrelade et à Eymoutiers ; un groupe CIMADE et une conserverie Emmaüs à Tarnac.
-Le festival Folie ! Les mots, http://folielesmots.free.fr/
Créé en 2005, c’était en juillet 2024 la 19e édition.
Paroles estivales, variations théâtrales, les mots et l’usage des mots avec comme lieux pour accueillir artistes et spectateurs-trices des jardins d’habitants, une grange, une forêt de feuillus. Sortir le théâtre et la parole des lieux habituellement autorisés. Tous les spectacles sont gratuits mais il est chaudement recommandé de devenir membre de l’association qui porte le festival et ce pour une somme modique. Toutes celles et ceux qui le porte sont bénévoles. En 2023 comme en 2024, les spectacles auxquels nous avons assisté, tant pour jeunes spectateurs que pour adultes, étaient d’une belle exigence artistique.
Le festival s’achève avec une goguette. Aux XVIIe et XVIIIe, être en goguette signifiait être de belle humeur et avoir de l’ivresse. Le mot est issus de l’ancien français gogue, réjouissance, liesse.
Aujourd’hui, à Faux et dans d’autres villages, la goguette est une soirée ou plusieurs personnes habitantes ou non de la commune viennent chanter un chanson dont les paroles sont de leur composition mais sur un air de chanson populaire connue. Un orchestre l’accompagne. Les chansons sont très souvent mordantes sur le pouvoir.
Une restauration est ouverte tous les jours midi et soir, c’est bon, pas cher, bondé et aussi en liesse.
L’éco-quartier, https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/creuse/video-environnement-l-ecoquartier-de-faux-la-montagne-adapte-aux-habitants-et-aux-enjeux-climatiques-2805521.html
La commune s’est emparée de la structure nationale et verticale pour faire une demande qui vienne du terrain, a acheté l’espace sur lequel s’est créé l’éco-quartier rural dans une réalisation de coopérative de main d’œuvre.
L’élaboration du quartier remonte à 2009. Le lotissement comprend une douzaine de lots en proximité du bourg, les possibilités d’extension ont été réfléchies en amont. Une large place a été donnée à la concertation, en conviant les futurs habitants à des ateliers d’écriture architecturale et paysagère.
L’éco-quartier a reçu le prix national « Eco-quartier rural ». Les maisons sont en bois ou en paille, les toilettes sont nécessairement sèches. La population du quartier est nouvelle dans la commune, de nombreux enfants y habitent avec leurs familles.
France 3 Limousin : « Les matériaux viennent des environs immédiats, de Limoges ou au plus loin du nord de la Creuse, pour les briques de terre crue. Pour Laëtitia, une habitante c’est "jubilatoire de maîtriser le processus de construction du début jusqu’à la fin. Cela a du sens, on fait des choix de matériaux, on prend des décisions dont on mesure l’impact sur l’environnement". (…) Les deux derniers terrains sont vendus, une place est réservée pour l’accueil de médecins stagiaires. »
D’autres structures dans la commune
Le restaurant bar La Feuillade, ouvert toute l’année ; une épicerie boulangerie, une pharmacie ; un dentiste ; une médecin, tous ouverts eux aussi toute l’année.
Sont actuellement à l’étude, dans le dispositif « villages d’avenir », l’installation de panneaux solaires sur les toits des maisons et bâtiments, un petit parc éolien non industriel.
Des liens avec…
– Télé Millevaches : un média rural en association, créé en 1986. Réalise des documents images et sonores, des formations aux médias et à l’audiovisuel, récolte et abrite toutes les aventures du territoire depuis sa création. https://telemillevaches.net/
– L’association des Plateaux limousins : vie culturelle, accueil de nouveaux habitants, éducation à la laïcité, à l’écologie, à la vie rurale,… (https://www.plateaux-limousins.org/presentation).
– Syndicat de la Montagne limousine : Le syndicat a été créé par et pour celles et ceux qui vivent sur la Montagne limousine et sont soucieux de préserver ses ressources, la diversité des formes de la vie humaine et non humaine qui font sa richesse, et d’y défendre des conditions de vie dignes pour toutes et tous. « C’est un outil pour se regrouper sur le territoire que nous habitons et défendre nos intérêts communs ». https://syndicat-montagne.org/
« La vie inspirante est aspirante »
Gilles, dans son tout petit appartement en centre village, nous confie un texte qu’il vient d’écrire. En voici quelques passages :
« Dans le contexte actuel de la société française balloté par des ajustements sociaux laborieux qui peinent à voir le jour comme les questions des retraites, des migrants, de la fin et du début de la vie, de la pauvreté qui s’accroit. Au fond, une société sans assurance pour regarder l’avenir, une société en proie au consumérisme, en perte de repères stables, en perte de sens, d’autant que les grandes religions ont tendance à s’arc bouter pour tenir des repères traditionnels voir intégristes. Le souffle, en concentration urbaine, vient à manquer ! La ruralité devient un gisement d’humanité, non pour fuir les questions de société, mais pour les vivre d’une manière nouvelle.
Se dessinent alors des lieux-repères, à l’écart des villes, qui ne sont pas des repaires d’égarés mais des lieux où les potentialités flouées peuvent s’épanouir et inventer un art de vivre qui honore les aspirations à un bien vivre, à une plénitude, fusse au prix d’une vie sobre à la campagne.
(…) J’aime Faux pour sa bienveillance au sein de la diversité. C’est une richesse car elle permet la rencontre et l’expression de personnes fort diverses, quand elles se donnent mutuellement hospitalité. Alors, le vivre ensemble, toujours fragile, est possible. Et quand adviennent les tensions inévitables, les sédiments d’humanité disposés au fil des ans sur ce territoire, sonnent le rappel au sein des consciences pour trouver des voies de sagesse et parfois des issues par le silence respectueux. Le vivre ensemble sera toujours une aventure et une vigilance. Déjà cette aventure fait émerger sur Faux de belles expériences spirituelles et par l de beaux visages d(‘hommes et de femmes.
J’aime Faux pour le tracé de ces chemins d’humanité. Prendre ces chemins c’est développer une confiance en la vie et en son mystère à découvrir et, pour certains, en son horizon ultime. La vie inspirante est aspirante. »
L’élevage bovin sur la commune
Patrick Pichon est éleveur, il est locataire de sa ferme et des 400 hectares de terre sur lesquels paissent 120 vaches limousines et poussent du fourrage, du sarrasin, des céréales.
« Mes parents viennent de Guéré dans la Sarthe, où ils étaient agriculteurs. Ici, dans les années 70, il y a eu une demande pour que des gens viennent s’installer . J’ai deux frères qui sont agriculteurs sur les terres d’une commune voisine. J’ai d’abord été ouvrier agricole, puis en 2004 j’ai loué des terres, en 2006 je me suis mis au bio pour le sol et l’agriculture, mais pas pour les vaches. Les vaches bio se vendent moins cher que celles qui ne le sont pas.
Si on enlève les primes de l’Europe on ne peut pas vivre. Alors, on est obligé de monter des dossiers et on dépend de l’État et de l’Europe.
Sur Faux nous sommes cinq éleveurs.
J’élève du broutard (un broutard est un jeune veau mâle, plutôt de race à viande, non castré, qui se nourrit de lait maternel et d’herbe jusqu’à son sevrage, moment où il peut subvenir à ses besoins alimentaires sans le lait vers l’âge de 7 à 9 mois). Il est ensuite engraissé en Italie et en Espagne, puis il revient ici pour être abattu et vendu. Ces voyages, c’est un peu absurde. En fait, on arrive jamais à équilibrer. Mes enfants ne veulent pas reprendre. Si l’exploitation s’arrête, ce sont les plantations de pins douglas qui vont s’étendre. Le douglas c’est 20 ans, le feuillu c’est 80 ans avec plus de boulot.
Les années à venir vont être très compliquées pour les jeunes. Il faut faire du diversifié, ça donne plus de travail, on fait du chanvre aussi. Aux infos on ne parle pas du suicide dans le monde paysan. Je suis allé manifester à Aubusson, mais je n’aime pas quand ça démoli. Le territoire évolue beaucoup, les populations changent, les nouveaux on les appellent les « babos », en 70 c’étaient les hippies. Il y a des jeunes qui ne veulent pas travailler, ils vivent des aides de l’État. Ca crée des tensions.
Je suis aussi pompier volontaire aussi, ça fait découvrir des gens et les équipiers sont sympas. Il y a deux ans on étaient 5, maintenant on est 16. »
(1) Depuis quelques années, un concept devient synonyme de la qualité du bien vivre ensemble : « l’attachement au territoire ». Une trame d’espaces et trame de temps constituées par des humains ou s’inventent, s’expérimentent et se développent des formes d’usages communs et de résistance à ce qui se présente comme la norme imposée de gouvernance et de son administration. Où les manières de vivre se conjuguent avec les autres vivants – animaux, flore, sol, eau et air - qui les habitent, les traversent, les sentent, les pensent, les rêvent. Quand aussi le territoire n’est plus l’idée très ambigüe d’une « identité d’appartenance », avec ses dérives excluantes toujours possibles, mais qu’il se vit et se veut comme un tissus de relations vivantes, de transversalités et de transformation où s’exercent des formes collectives et d’innovation du vivre ensemble, où le sens de l’histoire n’est pas aussi univoque que la puissance de l’État sur une collectivité humaine.
(2) Wikipedia : « L’affaire de Tarnac » commence le 11 novembre 2008 lorsque Julien Coupat est arrêté par la police antiterroriste avec neuf autres personnes placées en garde à vue dans le cadre d’un enquête sur le sabotage de plusieurs lignes de TGV. Ils sont arrêtés et désignés par Michèle Alliot Marie, alors ministre de l’intérieur, comme formant en bande organisée un groupuscule « ultra-gauche, mouvance anarcho-autonome ». Plusieurs procès sont engagés, la charge de terrorisme est abandonnée, jusqu’au jugement de la chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris qui déclare : « L’audience a permis de comprendre que le groupe de Tarnac était une fiction ». L’affaire de Tarnac est considérée comme un fiasco judiciaire. Elle a toutefois lourdement pesé sur une suspicion par certains services de l’Etat , et non encore complètement éteinte, à l’égard de villages qui avec les valeurs de solidarité prônent celle de l’accueil.